— Click here to read in English. —
En Avril 2016, des milliers de Parisiens sont descendus dans les rues pour manifester contre la reforme du Code du Travail, qui faciliterait les licenciements. Syndicats, travailleurs, et partis politiques de gauche qui organisent traditionnellement les grèves et les manifestations y ont tous participé, mais cette fois ci lycéens et étudiants se sont également joint au mouvement pour y jouer un rôle essentiel. Dans le cadre d’un mouvement croissant contre les mesures d’austérité baptisé Nuit Debout, ils ont exhorté la jeunesse française à passer la nuit dehors pour exprimer leurs mécontentements.
Le futur des adolescents et des jeunes français paraît aujourd’hui assez sombre. Entre l’économie laborieuse, une précarité grandissante dans le milieu du travail, les attaques terroristes ayant pris place cinq mois auparavant, une préoccupation croissante envers la manière dont les refugiés sont traités, et les retombées de plusieurs décennies de ségrégation non-officielle dans les banlieues, les Nuit Debout ne concernent pas seulement le monde du travail : elles concernent la vie.
Parmi les slogans utilisés dans les manifestations, « le monde ou rien » est devenu l’un des plus populaires : une phrase qui condamne simultanément le conservatisme à l’esprit étroit et en demande plus à la vie que ce qui est actuellement offert. Selon Mouloud Achour, un vétéran du journalisme français qui couvre la ‘culture jeune’, « cela veut dire, ‘On a aucun problème à se comparer au reste du monde ; c’est ce que l’on veut ». C’est une expression typiquement française, mais le sentiment est universel : « le monde ou rien » pourrait parler à n’importe quelle jeunesse.
L’origine de la phrase est une chanson de rap du même nom, sortie en Juin dernier par PNL : un groupe composé de deux frères issus de Corbeil-Essonnes, dans la banlieue Parisienne. Première piste de leur deuxième album Le Monde Chico, « Le Monde Ou Rien » était sur toutes les ondes en France de la même manière que « Sorry » de Justin Bieber l’était aux Etats Unis. Avec actuellement presque 40 millions de visionnages sur YouTube – ou 50% de la population française – la chanson a un air entraînant, mais avec un sentiment de désespoir sous-jacent qui va au delà du langage.
Le rap français a une longue tradition d’engagement direct avec la politique nationale, que ce soit dans le style agressif du gangsta rap Américain, ou à travers des variantes locales qui ont plus en commun avec la chanson française, drôle et romantique. Les années 90 ont apporté ces deux styles contrastés sur les ondes radio : avec d’une part les vers hyper-travaillés de MC Solaar, un natif du Senegal dont les chansons sur l’immigration et l’intégration ont transformé le rap en musique qui méritait le respect des adultes français ; et d’autre part Suprême NTM qui dénonçaient le politicien d’extrême droite Jean-Marie Le Pen par son nom dans leur chanson antiraciste « Blanc et Noir » et dont « Police » était la réponse française hardcore à l’hymne de N.W.A.
« Le Monde Ou Rien » de PNL change la direction du rap français entièrement. Dans les années 90, essayer de défier directement l’ordre politique par la musique semblait possible ; mais pour la jeunesse française d’aujourd’hui, décrit le journaliste Achour, le désespoir n’a « jamais été si prononcé ». La musique de PNL n’est pas ouvertement politique, à la manière de leurs prédécesseurs. Mais elle exprime une compréhension approfondie d’une situation socio-politique définie par le désenchantement, la marginalisation, et malgré tout, la résistance. On peut l’entendre sur la rythmique lente et gutturale de « Le Monde Ou Rien », ainsi que dans les longues lamentations ‘autotunées’ de la piste, plus chantées que parlées : Igo on est voué à l'enfer, l'ascenseur est en panne au paradis / C'est bloqué ? Ah bon ? Bah j'vais bicrave dans l'escalier.
Les paroles sont poignantes en Français mais on peut comprendre ce que veut dire PNL même si on ne parle pas la langue. C’était le cas pour Angelo Baque, directeur de marque pour Supreme et un des premiers adeptes de PNL. Il avait programmé le groupe pour l’inauguration du magasin Supreme l’année dernière dans le quartier chic du Marais, où les invités buvaient du champagne aux côtés de Chloé Sevigny et Rick Owens pendant qu’une foule jubilatoire chantait le « Le Monde Ou Rien » en unisson avec les frères. « On sent la vibe, on sent l’attitude et ça, ça dépasse les races, la foi, la religion et la langue », Baque me dit au téléphone. « Bien sur que non, je n’ai aucune idée de ce qu’ils disent ! Mais ça se digère très facilement. C’est comme une chanson de Bowie : ouais, c’est bon. Ça ne ce questionne pas ».
Il fut un temps où les spécificités politiques, pour ne rien dire de la barrière linguistique, limitaient l’intérêt dans le rap français à la métropole et les anciennes colonies. Mais le son particulier et la forte sensibilité esthétique de PNL ont le potentiel de pouvoir parler à une audience mondiale. En 2016, alors que tant de jeunes sont unis par la menace d’un futur incertain et un goût pour le rappeur Future, PNL mélangent les deux pour saisir le monde qu’ils sont convaincus leur appartient.
La cité tentaculaire des Tarterêts où les PNL vivent toujours est située à une petite distance au sud de Paris, près de la ville de Corbeil-Essonnes. Les immeubles de la cité apparurent dans les années 60 lorsque la pénurie de logement poussa le gouvernement français à subventionner la construction de rangées d’immeubles austère. Durant les décennies qui suivirent, le crime et l’agitation dans les Tarterêts grandit, avec le chômage atteignant presque 30% dans les années 90. La violence dans les rues à fait gagner un surnom à la cité, « le Zoo », auquel les frères font constamment allusion en faisant des signes de « Z » avec leurs mains et en se comparant à des animaux dans leurs chansons tels que « Simba ».
J’arrange une rencontre avec les frères en dehors des Tarterêts en fin Avril, sur un coin de rue dans le quartier de Corbeil. Avec une station de RER, un magasin qui vend des cacahuètes en gros, et des mamans en hijab qui promènent des poussettes sous le soleil, la ville parait assez agréable. C’est le premier jour doux de l’année et le coin est parfumé par des fleurs couvrant le mur d’un immeuble proche. Lorsque j’arrive, une foule de gamins et de pré-ados est déjà amassée autour de deux hommes d’une vingtaine d’années : le groupe de rap DTF, qui font partie de la bande des PNL. Les enfants rigolent et demandent des selfies, mais toute leur attention tourne quand les PNL arrivent.
Les frères ont fait le chemin séparément car Nabil – qui a 27 ans et insiste à être appelé par son nom de scène, N.O.S – a voulut rentrer à la maison et se changer du survêtement gris qu’il portait avant pour quelque chose plus photogénique: un autre survêtement simple, avec un haut Nike et un bas Adidas. Son frère aîné Tarik, qui utilise le nom de scène Ademo, a 29 ans. Ademo est le plus avant-garde des deux, avec ces cheveux à hauteur d’épaules coupés court dessous et une tenue en veste denim ridé en peau de mouton, des jeans sombres, des baskets, et des lunettes de soleil tape-à-l'œil acheté durant un récent voyage en Corée. Ensemble, les deux hommes sont beaux et aux yeux doux, toujours prudent mais indéniablement courtois.
Après s’être occupé de leurs fans, le convoi PNL se dirige vers la grappe d’immeubles qui constituent la cité des Tarterêts. Je voyage sur la banquette arrière d’une voiture conduite par Issam, qui me dit qu’il était dans la marine française et s’occupe maintenant des contrats et comptes de PNL ; et je suis accompagné de Lionel, l’attaché de presse de PNL, bien qu’il ne s’identifie pas comme tel. La conduite d’Issam passe de prudente à complétement déjantée à partir du moment où l’on quitte l’autoroute – bienvenue dans la banlieue, ils rigolent.
« On sent la vibe, on sent l’attitude et ça, ça dépasse les races, la foi, la religion et la langue. » — Angelo Baque
Dans le terrain élevé entre les immeubles où leur vidéo pour « Simba » fut filmée, les frères sont accueillis par une douzaine d’hommes, tous entre la vingtaine et la trentaine, portant des fringues PNL ou des tee-shirt représentant New York City. Il y a aussi une dizaine de gamins. Ils paraisent tous d’origine Nord-Africaine ou sub-Saharienne. N.O.S et Ademo taquinent leurs amis, roulent des joints, fument des cigarettes, et posent pour la caméra (même si les deux frères sont hésitants à se toucher ou à trop se rapprocher – « ca ne paraît pas naturel ! » protestent-ils). « C’est ici qu’on jouait au foot quand on était jeunes et que l’on n’est pas devenus des joueurs professionnels », N.O.S plaisante, faisant signe aux enfants qui improvisent un match de foot avec une balle de basket. « Allez, faites le Zoo », leur dit-il, ses doigts en Z. Les enfants l’imitent en souriant.
Grandissant ici, N.O.S et Ademo faisaient parti d’un groupe démographique de plus en plus marginalisé. Selon les frères, leur mère algérienne était souvent absente, tandis que leur père, un pied-noir corse, est décrit dans leurs chansons tel un gangster. Leurs textes sont souvent parsemés d’Arabe, et bien qu’ils ne soient pas visiblement pieux, les frères pratiquent l’Islam. Pour ce qui est du reste de leur biographie, c’est un peu flou.
PNL n’ont jamais donné d’interviews complètes, à moi y compris. Durant notre temps ensemble, ils refusent de commenter sur leur famille ou de répondre aux questions sur leurs origines. Leur nom de famille reste un mystère. Les frères répondent aux questions les plus banales – chocolat ou vanille ? Qu’est ce qu’il se passe ce soir ? Avez vous des copines ? – en précisant que cela constitue une interview (bien que N.O.S finalement laisse savoir qu’il aime aussi bien le chocolat que la vanille). Ils rechignent à être enregistré et paraissent très conscients de ma présence. Ils insistent qu’il n’y a rien a dire qui n’a pas déjà été dit dans leurs chansons.
« Tous est dans la musique » dit Nikola Feve, également connu comme Nk.F TrackBastardz, leur ingénieur du son et la seule personne à qui les frères font confiance pour parler publiquement de leur travail.
« Ecoute l’album. C’est la verité.. »
PNL a été formé en 2014 après qu’Ademo soit sorti de prison, dit Feve, insinuant que la peine était liée à la drogue. Avant ça, les deux frères avaient tenté séparément d’enregistrer leur musique, mais ces chansons n’ont jamais accroché. Même leurs plus grands supporters d’aujourd’hui trouvent leur ancien registre sans particularité – probablement parce que sur le plan technique ils pourraient être de meilleurs rappeurs. « Je me rappelle d’Ademo sur une vidéo de Guizmo que j’ai vue quelques années avant que leur premier album ne sorte », se rappelle Mehdi Maizi, rédacteur-en-chef du magazine de rap l’ABCDR Du Son et auteur d’un livre sur le rap français. « J’aimais le freestyle de Guizmo et [Ademo] rappait par-dessus. Il n’avait pas de cheveux longs à cette époque, c’était avant qu'il ait trouvé son look, et il n’était pas vraiment remarquable. Ce qui m’a impressionné c’est leur métamorphose. C’est comme si ils étaient passés à travers un laboratoire de rap et en étaient ressortis meilleurs ».
Ademo lui-même admet qu’il manque de maîtrise. « Je ne suis pas un rappeur, sans vocodeur je suis claqué » il confesse sur « Mowgli », une piste sortie l’année dernière. C’est le constat d’une vulnérabilité surprenante qui en dit beaucoup sur l’usage décomplexé de l’Auto-Tune par PNL, et peut-être aussi du caractère réservé d’Ademo. Durant la séance photo pour la couverture du magazine – la première pour les frères – il était visiblement inconfortable face a la camera, et insista à mettre sa veste et ses lunettes teintées et à se cacher derrière la fumée de sa cigarette.
C’était N.O.S qui a introduit l’ingénieur Feve au groupe. Il avait précédemment enregistré une des collaborations de N.O.S quand ce dernier était en solo, même si les deux hommes ne s’entendaient pas au début. « [N.O.S] et moi on a tous les deux de fortes personnalités », dit Feve. « Mais j’ai compris dès le départ qu’ils n’étaient pas des gars qui rigolaient,et maintenant on s’entend. Ils disent ce qu’ils pensent, ca me fais penser au code de l’honneur des anciens gangsters.». Quand les deux frères décidèrent de travailler ensemble, Feve paru comme un tiers naturel.
Que La Famille, le premier album de PNL sorti en Mars 2015 est un prélude perceptible à Le Monde Chico (qui paru dans les bacs a peine sept mois plus tard). Les bases sont là, mais le tout n’est pas si bien produit et les voix des frères sont plus naturelles. Il y a quelques morceaux qui sortent du lot, tel que « Je Vis Je Visser », qui nous gagne progressivement avec son refrain de « Je vis, je visser, j’m’ennuie », mais PNL n’avaient pas encore perfectionné les effets ambitieux ou l’écriture accrocheuse qui laissent une telle impression sur leur deuxième album.
Lorsque PNL trouvèrent leur rythme avec Le Monde Chico, un changement majeur apparu dans les paroles. Comme tout bon rappeurs, ils remplissent leurs vers de références à la ‘pop-culture’, d’images vives et de mots inventés. Le tout est entrecoupé d’une tristesse existentielle aigue : même quand ils parlent des habits de luxe, le mot « cachemire » devient « cache-misère ». Un des éléments typiquement français est l’usage sans relâche du verlan. Le verlan n’est pas la que pour le plaisir ; c’est une manière de parler qui vient de la rue, pour se cacher de la police et des inconnus. Souvent, les PNL vont tellement loin qu’ils utilisent un idiolecte qui devient difficile à comprendre même pour des Français natifs – d’une manière, ce n’est donc pas si grave si le reste du monde ne les comprend pas non plus. Il faut préciser qu’ils ne sont pas sans reproche : la chanson « Tchiki Tchiki » sortie cette été fait usage d’une parole offensive (« ching chong ») s’adressant à une femme asiatique ; preuve que l’isolement vient souvent avec des complications.
L’entourage de PNL aime insister qu’ils n’ont pas d’équivalent ou d’influence dans le rap des deux cotés de l’Atlantique, et quand je demande aux amis de PNL ce qu’ils écoutent, ils n’ont pas grand chose à dire. Mais il est difficile d’ignorer le lien entre leur son récemment raffiné à l’Auto-Tune et cette même popularité de l’Auto-Tune parmi les rappeurs mélancoliques de cette dernière décennie : non seulement le fier-mais-triste Kanye West de 808s and Heartbreaks, mais aussi le son drogué et abattu de Chief Keef dans « Citgo » ainsi que le menaçant « Dis Ain’t What U Want » de Lil Durk. Toutefois, les voix de PNL ne sont pas une copie exacte, ayant tendance à être plus lissées, plus lentes, et peut-être même plus suaves.
Le choix de leurs sons offre aussi un aperçu de ce qu’il se passe en Amérique, car ils se basent clairement sur des musiciens outre-Atlantique. Chose rare pour des artistes dont le travail atteint des millions d’oreilles, un grand nombre des hits de PNL reposent sur des « type beats » (genre de beat) – des productions instrumentales créés par des beatmakers inconnus reprenant le style musical d’artistes célèbres, et licenciées pour des sommes aussi modiques que $20. L’année dernière, le blog français Beatzmaking découvrit un nombre de type beats dans Le Monde Chico réalisé par des producteurs Américains qui promeuvent leur travail explicitement comme ressemblant aux sons de Drake, Young Thug, Rich Homie Quan, Ty Dolla $ign, et A$AP Rocky.
L’instrumentale pour « Le Monde Ou Rien », par exemple, vient d’un producteur basé a L.A. du nom de Matt Shimomura, ou MKSB, et qui avait à l’origine mit le beat en ligne sous le nom « The Weeknd / Bryson Tiller Type Beat ». En Septembre dernier, quelques mois après que la chanson soit sortie, Shimomura s’est plaint sur Twitter du fait qu’il n’avait pas était crédité. (Le groupe avait aussi utilisé un « OVOXO Type Beat » de Shimomura pour la chanson « J’suis PNL »). Les crédits furent éventuellement ajoutés à la vidéo sur YouTube et Shimomura affirme que PNL lui a même offert une portion des royalties, bien que le paiement reste encore à venir. « Il y a eu toute une polémique sur leurs beats [non crédités] », explique l’auteur Mehdi Maizi. « Maintenant que les PNL sont célèbre, je pense qu’ils vont faire plus attention à cela. »
Pour ce qui est de l’ingénieur de PNL, Feve, il dit que le processus de sélection de beats n’est pas si raisonné que ça : «Ils recoivent plein de prods de differents beatmakers et apres, ils choisissent celles qui les inspire. Tout simplement.».
Bien que les PNL semblent économiser avec des instrumentales peu chères (ou même non payées), ils ne donnent pas l’impression de faire des économies avec leurs vidéos. Filmées dans les Tarterêts avec des douzaines de participants – mais aussi en Islande, en Namibie, et en Italie – les vidéos sont devenus une manière pour le groupe d’atteindre un public qui ne comprend peut-être pas le Français mais qui peut toujours apprécier une esthétique ambitieuse, plus grande que nature. Le clip récent pour « La Vie Est Belle », filmé en Namibie, contient des scènes aériennes filmées à l’aide de drones où l’on voit PNL rapper dans la nature, là même où des lions chassent des zèbres, et les caméras prennent tellement de recul que les deux rappeurs finissent par se fondre dans le paysage.
« Ce qui m’a impressionné c’est leur métamorphose. C’est comme si ils étaient passés à travers un laboratoire de rap et en étaient ressortis meilleurs. » — Mehdi Maizi
Selon Romain Gavras, qui a réalisé des clips pour M.I.A, Jay Z, et Kanye West, quand PNL le contactèrent pour faire une vidéo il leur répondît qu’ils n’avaient pas besoin de lui – « ils ont déjà leur truc ». Mais il est certain qu’ils sont capables de grandir encore plus au niveau international dans les prochaines années et il maintient « je suis sûr qu’un jour on fera quelque chose ensemble ».
À la place d’un réalisateur connu, leurs vidéos sont en fait crées par un jeune homme timide de 24 ans du nom de Mess – un ami de leur quartier, qui me raconte qu’il travaille dans l’immobilier et a reçu seulement six mois de formation audio-visuelle. Ses shoots avec PNL sont assez pratiques, et ils organisent tout, des voyages à l’étranger jusqu'à la location du singe qui a un rôle dans le clip pour « Da ». Plus récemment ils ont visité le Japon et la Corée du Sud pour une nouvelle vidéo, et disent qu’ils ont passé un très bon moment – mais ils n’offrent pas plus de détails.
Une des conséquences de ne pas parler aux médias est que les questions les plus simples se transforment en mystères, et par la suite en théories du complot. Une des rumeurs maintient que les PNL ont en fait le soutien de quelques personnalités de l’industrie, mais citant les paroles des frères, Feve assure que leurs albums et vidéos sont entièrement financés par l’argent provenant de leur ancien trafic de drogue dans les banlieues.
Plutôt que de rejoindre une maison de disques reconnue, ils sortent leur musique eux-mêmes sous la bannière de leur label Que La Famille, et ils la distribuent en format physique et numérique à travers la société Musicast. Décrite dans la presse comme la « colonne vertébrale » de la scène musicale indépendante française, Musicast fut établie il y a environ 20 ans en tant qu’intermédiaire entre les artistes indépendants et les grandes chaines tels que Virgin. Musicast a triplé son revenu pour atteindre 7 millions d’Euros en ventes l’année dernière, en grande partie grâce à PNL et au succès de Jul, un prolifique rappeur marseillais. Durant l’automne, la société fut acquise par Believe Digital, un distributeur avec une grande présence internationale (contrairement à Musicast, seulement 15% de ses ventes sont en France), qui annonça son intention d’offrir plus de services en matière de marketing aux artistes de Musicast.
Julien Kertudo, le fondateur de Musicast, réitère l’explication de Feve qu’il n’y a pas de maison de disque ou de financier secret derrière le duo – même si les majors, dit-il, n’arrêtent pas d’appeler. C’est cette indépendance qui permet a PNL de faire ce qu’ils font : « Ils ont fait de la musique que les gens ne vont pas écouter maintenant, mais demain », dit Kertudo. « Et ça a marché. Ils font quelque chose qui sort de leurs cœurs, que d’autres peuvent pas faire avec leurs labels, leurs contrats. Ca me bouleverse. La volonté du groupe c’est d’avoir une liberté totale pour faire leur musique, construire leur marque et contrôler sa diffusion, ils en prennent responsabilité. »
Un dimanche je rencontre les frères et Feve à son studio à Clichy, dans la banlieue de Paris, pour observer la manière dont PNL font leur musique. Sismic Studios occupe juste une chambre au rez-de-chaussée au recoin d’une cour pavée dans un lot vide, et donne l’impression d’une grange de petit village. Il y a des claviers électriques vintage le long du mur à côté d’un disque d’or pour Le Monde Chico que les frères ont donné à Feve comme cadeau. Une autre copie du disque d’or est sur le mur du centre des loisirs des Tarterêts. « Je n’aime même pas le rap français », dit Feve. L’ingénieur de 36 ans a des cheveux noirs coupés court, le regard centré d’un homme profondément immergé dans son travail, et des piercings qui trahissent son passé dans la musique électronique. « J’ai joué dans plein de groupes, mais maintenant je suis vraiment dans tous ce que fait Dr. Luke », dit-il. « Il a fait le dernier album de Yelle. Ça tue ». Quand je lui demande ce qui distingue PNL, et ce qui l’a attiré vers leur style de rap, il me dit que c’était clairement leur souci du détail « dingue ».
« Je n’ai jamais vu ce niveau de perfectionnisme avant. Ils sont complètement fous. On garde peut-être trois quarts des chansons, alors que d’autres artistes gardent tout, même si c’est de la merde. Même quand ils passent 10, 20, 30 heures sur un morceau et qu’au final ça ne marche pas, ces gars-là ils le jettent ».
Ce jour là, Feve et PNL – N.O.S dans un survêtement gris et des baskets, Ademo portant des jeans noirs serrés avec un gros zip argent sur la poche et une veste matelassée à manches longues – sont impatients de mettre au point un morceau sans titre sur lequel ils ont déjà travaillé pendant trois jours et qu’ils espèrent ajouter à leur prochain album. Bientôt ça sera le Ramadan (« ça commence le 6 ou 7 Juin ? » se demandent les frères) et ils prévoient de suivre la coutume en faisant le jeûne et en arrêtant les enregistrements pendant un mois.
L’usage de beats préfabriqués libère vraisemblablement du temps et de l’espace mental et leur permet de se focaliser sur d’autres détails. Durant les sessions studio monstres de PNL, explique Feve, ils passent la plupart du temps à mettre au point les effets vocaux comme le reverb ou le delay. Feve lance ProTools sur un grand écran, appuie sur play, et une longue intro remplie la petite pièce. Les voix commencent avec leur signature sonore, lourd d’Auto-Tune, mais les effets donnent une impression plus panoramique, d'une façon ou d'une autre, plus horizontale. Ademo me dit plus tard que le morceau était inspiré des éléments : l’océan, l’air, être dans des grands espaces. Bientôt, la chirurgie musicale commence.
« Essaye cette portion-là avec plus de reverb », dit Ademo, après que Feve ait isolé une ligne vocale pour avoir un meilleur sens des effets. Encore plus de mise au point. « Ce mec ne nous laisse pas fumer ici », se plaint Ademo, et après quelques tentatives de plus il s’excuse pour aller fumer dehors.
Quand il revient Feve propose d’ajouter de l’autopan, ce qui crée un son croissant, à une des mesures avant le refrain.
« Oh, c’est bon ça, dit Ademo. Ça fait comme le vent ! »
Feve commence à travailler sur une autre partie, un riff de fond qui sonne comme un shred de guitare mais qui s’avère être une ligne de charabia transformée jusqu'à en être méconnaissable.
« Ça manque de fraicheur », Ademo se plaint. « On a besoin d’un effet vague. »
Feve règle quelques niveaux. « Trop étouffé ! »
Ils continuent comme ça pendant des heures, prenant des pauses pour fumer ou pour commander des sandwiches grecs. Peut être qu’avoir une journaliste dans la pièce les empêche d’avoir de vrais conversations, mais ils n’ont jamais une fois parlé d’autres artistes, ou des manifestations qui faisaient la une à travers Paris, ou vraiment de quoi que ce soit d’autre qui se passe dans le monde. Les frères restent fixés sur la musique. « La mif », leur équipe, à qui ils sont farouchement loyaux, est la seule autre chose pour laquelle ils montrent de l’enthousiasme. Durant la session d’enregistrement, quelques gars portant des tee-shirts Que La Famille trainent dans la cour, fument des joints et tapent dans un ballon de foot dégonflé.
Feve prétend de ne pas savoir que les manifestations se déroulent, ou que les paroles de PNL ont été utilisées par le mouvement. « J’ignore tout ça » dit-il. « Je m’isole du monde ». Cette isolation parait importante, d’une certaine manière elle représente une prise de distance avec la société française dont la promesse de liberté, égalité, fraternité à failli à tant de personnes. Quand le sujet des manifestations se présente, PNL, fidèles à leurs habitudes, rechignent à répondre. Mais dans ce cas-là leur musique parle d’elle-même. Ces deux frères des Tarterêts ont synthétisé l’agitation du moment, fournissant une manière de s’exprimer à un public beaucoup plus large que ceux qui prêtent attention aux rouages internes du Palais de l’Elysée. Il n’y a pas besoin de parler Français, ou d’être Français, pour apprécier les chansons de PNL. Il faut juste, intuitivement, savoir que quelque chose ne va pas – et seulement avoir confiance en son équipe pour le soutien.